Fleurs de chanvre / CBD en France : persistance de produits non conformes sur le marché

Auteurs : (ordre alphabétique)

CONDE K, PharmD communication scientifique ;

GRUNER A, Master Sciences Analytiques (SA-BI), cheffe de projet analytique ;
GUILLAUME Q, Master Sciences Analytiques (SA-BI), chef de projet analytique ;
MILONE F, président ;

 

Laboratoires LaFleur – Pôle R&D,
DelleD SAS
10 rue Olivier de Serres,
49070 Beaucouzé (FR)

Rôles respectifs :

Développement de méthode : AG, QG, FM ; Analyses : AG, QG ; Rédaction : KC, Relecture/corrections v1 : TOUS ; Pilotage projet C-level : FM.

Liens d'intérêt :

Les laboratoires LaFleur développent et produisent des médicaments à base de cannabis pour le marché médical. Ils proposent par ailleurs diverses prestations, par lesquelles la réalisation d’analyses. C’est dans ce cadre, et sur fonds propres, que cet article a été rédigé.

1. Contexte

Le chanvre (Cannabis sativa) est une plante renfermant de nombreux actifs, parmi lesquels on peut citer une classe de molécules dénommées phytocannabinoïdes. Les 2 plus connus sont le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD). Si le premier possède des propriétés euphorisantes et psychotropes, le second en est dépourvu et n’altère donc pas l’état de conscience. Le CBD possède néanmoins des propriétés dites « bien-être », à savoir apaisantes pour certains maux du quotidien : stress, douleur ou sommeil insatisfaisant (liste non exhaustive). En outre, il possède aussi des propriétés antiépileptiques à plus fortes doses. Un médicament composé de CBD possède d’ailleurs une autorisation de mise sur le marché dans cette indication. 

 

Sur le marché le plus connu, à savoir le marché du chanvre « bien-être », les produits contenant du CBD sont de natures diverses : fleurs dites CBD (fleurs de chanvre riches en CBD), huiles, bonbons, résines, concentrés, etc. Ces produits sont légaux à condition de ne pas contenir plus de 0,3% de THC. Si cette condition est respectée, alors les produits peuvent être vendus librement. En pratique, d’autres conditions s’appliquent1 mais le taux de THC est la plus critique.
Par ailleurs, certains fournisseurs de CBD proposent également des fleurs riches en d’autres cannabinoïdes, par exemple le cannabigérol (CBG).

 

Dans le cadre du développement de leur laboratoire analytique, les laboratoires LaFleur ont réalisé des analyses sur des fleurs CBD et CBG, obtenues dans le commerce. Au cours de ces travaux, il a été constaté que les informations mises à disposition par certains fournisseurs pour documenter la légalité de leurs produits n’étaient pas conformes au contenu réel desdits produits. 

 

Considérant que la transparence est essentielle pour assurer la sécurité des consommateurs, nous publions aujourd’hui nos résultats afin d’inciter la filière du chanvre « bien-être » à instaurer des contrôles plus rigoureux sur les produits qu’ils mettent sur le marché français. 

2. Matériels et méthodes

2.1 Matériels

Quatre fournisseurs de CBD en activité sur le marché français (anonymisés A à D) ont été sélectionnés, sur la base d’un échantillonnage arbitraire. Deux à trois variétés de fleurs par fournisseur ont été commandées, pour un total de 10 variétés analysées. Afin de simplifier cet article, seules seront rapportées les données aux 6 cannabinoïdes suivants : cannabidiol (CBD), cannabigérol (CBG), tétrahydrocannabinol (THC) et leurs formes acides respectives (CBDA, CBGA et THCA). Ce choix est justifié par le fait que les allégations des fournisseurs sur les produits étudiés ne concernaient que ces cannabinoïdes (tableau 1). 

 

Un survol rapide fait apparaître que le fournisseur A est le seul à s’engager sur des valeurs chiffrées pour les cannabinoïdes hors THC, bien que seule une limite maximale soit fixée. Concernant le THC, il est également le seul à s’engager sur un taux infra-légal de 0,2%. Les fournisseurs B et C ne s’engagent que sur un cannabinoïde dominant (« CBG haut », « CBD haut ») et le respect légal des 0,3% THC. Quant au fournisseur D, il ne s’engage sur rien, hormis le seuil légal de THC. Ses produits étant vendus comme des fleurs CBD, il est logique de supposer que le cannabinoïde majoritaire est le CBD. 

Tableau d'analyse CBD, CBG et THC
Tableau 1 : Variétés analysées et leurs allégations concernant les taux de CBD, CBG et THC

2.2 Méthodes

Les analyses ont été réalisées courant 2023 au sein du laboratoire analytique LaFleur Services à Angers (France). La méthode utilisée était une analyse par HPLC-UV (chromatographie liquide haute performance couplée à un détecteur UV), validée en interne selon les normes ICH Q2, sur équipements de marque Shimadzu. 

 

Les limites de quantification (LOQ) étaient les suivantes :

Tableau 2 : Limites de quantification (LOQ)

Par respect pour le secret industriel, nous ne donnerons pas plus de détails sur la méthode.

 

Les autorités, utilisant une méthode de chromatographie gazeuse, ne peuvent pas discriminer les formes neutres des formes acides. Par conséquent, la limite légale de 0,3% THC (pourcentage masse/masse, sur matière sèche) doit s’entendre en termes de THC total. Par ailleurs, les analyses portent sur des fleurs, dont on sait qu’elles sont quasi-systématiquement soit fumées, soit vaporisées, soit infusées et donc, dans les trois cas, décarboxylées. Pour ces deux raisons, les valeurs obtenues ont été rapportées en équivalents totaux formes neutres grâce aux formules suivantes :

 

%THC total = %THC + (0,877 x %THCA)
%CBD total = %CBD + (0,877 x %CBDA)
%CBG total = %CBG + (0,878 x %CBGA)
 

Les valeurs < LOQ étant remplacées par zéro dans les formules.

3. Résultats et discussion

Le tableau 3 présente les résultats d’analyses sur les 10 fleurs étudiées et le tableau 4 résume la conformité de ces analyses au regard des données fournies par le fabriquant ainsi que du seuil légal de 0,3% THC.

Tableau 3 : Résultats des analysées réalisées (méthode HPLC-UV, totaux par calcul)

3.1 Conformité légale

En premier lieu, on soulignera que 3 références sur 10 (A2, C1 et C2) présentent des taux de THC supérieurs à 0,3%, ce qui les rend illégales au titre des dispositions de l’arrêté du 30 décembre 2021.

Tableau 4 : conformité des fleurs au regard de leur caractéristiques annoncées par les fournisseurs et conformité légale (THC < 0,3%)

La méthode d’échantillonnage reposant sur des critères arbitraires, les données ne sont pas généralisables à l’ensemble du catalogue des fournisseurs concernés, ni à l’ensemble des fournisseurs de CBD. Néanmoins, le fait que deux références, sélectionnées au hasard chez un même fournisseur, reviennent avec des taux de THC proches de 0,8%, soit 2,5 fois la limite légale, nous semble relativement inquiétant pour ledit fournisseur (C), qui fournit pourtant des certificats d’analyse à 0,29% (Figure 1). Par ailleurs, cela constitue un manque de transparence vis-à-vis du consommateur, qui mérite d’être informé sur la nature des produits qu’il achète. La problématique légale s’accompagne donc d’un problème éthique.

Figure 1 : résumé du certificat d’analyse fourni pour la référence C1 (source : fournisseur C) (à comparer aux valeurs mesurées : THC 0,75% ; CBD 17,03% ; CBG 0,58%)

La troisième référence illégale est la fleur A2 qui, avec 0,32% THC, dépasse (certes de peu, mais dépasse quand même) la limite maximale de 0,3%. Cette non-conformité légale est doublée d’une non-conformité technique avec un taux de CBD total approchant les 15%, pour une valeur annoncée de maximum 10% (soit une valeur 50% supérieure à la limite annoncée).

3.2 Conformité technique

Hors considérations de licéité développées ci-avant, il est souhaitable, comme dans tout secteur industriel, que les produits disponibles sur le marché soient accompagnés d’une information transparente et fiable, et ce pour la protection du consommateur au sens du Code de la Consommation. Or les pratiques observées sur le marché semblent fournir un bilan mitigé sur ce point.


Dans le cas du fournisseur A, deux produits ont été testés : A1, conforme à la fois sur le plan technique et légal, et A2, dont la non-conformité réglementaire est doublée d’une non-conformité technique, à la fois sur les taux de CBD (presque 15% alors qu’affiché ≤ 10%), mais aussi de THC. Le fournisseur A ayant fait le choix de s’engager sur le seuil infralégal de 0,2% THC, ses produits auraient donc pu être non conformes sur le plan technique tout en restant conformes sur le plan légal (par exemple si son taux de THC avait été de 0,25%). Ce n’est pas le cas ici (0,32%).


Les produits du fournisseur B sont tous trois conformes aux revendications de B, dont il faut tout de même préciser le caractère particulièrement général. Ce fournisseur ne s’engage à fournir des fleurs « CBG haut ». Les CBG est effectivement le cannabinoïde dominant dans les trois échantillons. Se pose néanmoins la question du sens que l’on donne au terme « haut » : B1 est à 8%, B2 à 11% et B3 à 7%. Les trois produits respectent le seuil légal de THC.


Les produits du fournisseur C sont techniquement conformes (mais légalement non conformes, cf. 3.1.). Étiquetés « CBD haut », la dominance du cannabidiol est respectée. On notera toutefois qu’avec des valeurs de 17% (C1) et 18% (C2), le terme « haut » prend un sens différent que chez le fournisseur B.


De plus, des travaux récents2 ont estimé que la CBDA synthase (enzyme produisant le CBDA) était également capable de produire de faibles quantités de THC dans un rapport approximatif de 20:1. Cela signifie que, même en l’absence THCA synthase (enzyme principale de production du THCA), comme c’est le cas dans certaines variétés industrielles de chanvre, de petites quantités de THCA seraient tout de même produites par la CBDA synthase, à hauteur de 1/20ème du taux de CBDA. Ces travaux restent à confirmer, avec peut-être l’affinage du ratio. Mais, en gardant cet ordre de grandeur en tête, une variété à 10% CBD ne pourrait pas naturellement descendre en dessous de 0,5% THC. Sauf à procéder à une augmentation artificielle du taux de CBD (par exemple par sprayage) ou une diminution du taux de THC (procédé appelé remédiation). L’incohérence de certaines valeurs observées ne semble pas pouvoir s’expliquer autrement (par ex. B1 : 10,5% CBD, 0,0% THC).


Enfin, la conformité technique des fleurs du fournisseur D n’est pas réellement éligible à confirmation dans le sens ou le fournisseur ne s’engage à rien, sauf la dominance implicite du CBD en appelant ses produits « fleurs CBD ». Ces produits ont bien pour cannabinoïde dominant le CBD. Par ailleurs, leur taux de THC est bien inférieur à la limite légale.

4. Synthèse et recommandations

4.1 Synthèse

Dix fleurs CBD ou CBG, achetées chez 4 fournisseurs actifs sur le marché français, ont été analysées en HPLC-UV afin d’en documenter les taux en CBD total, CBG total et THC total. Les résultats ont montré que 3 références (30%, n=10), dont 2 issues du même fournisseur, ne respectent pas le taux légal de 0,3% THC. Leur mise à disposition sur le marché français constitue donc une infraction à la législation sur les stupéfiants. Par ailleurs, une référence n’est pas conforme à ses propres engagements en termes de taux de CBD (taux supérieur de 50%).
Enfin, certaines références révèlent des rapports CBD/THC incohérents, témoignant d’une manipulation post-récolte, soit par une baisse du taux de THC (« remédiation »), soit par augmentation artificielle des quantités de CBD.
Les analyses effectuées révèlent des données non disponibles à l’achat (ou non conformes à celles disponibles) et donc inaccessibles au consommateur, qui n’est pas protégé au sens du Code de la Consommation. Bien que les résultats ne soient pas généralisables à l’ensemble des professionnels du secteur du CBD, ils témoignent de la persistance de certaines pratiques inéthiques, voire illégales dans certains cas.

4.2 Recommandations

Dans ces conditions, nous formulons les recommandations suivantes à destination des fournisseurs de CBD et autres phyto cannabinoïdes légaux (CBG, CBN, etc.) :

  1. Faire systématiquement analyser chaque produit sourcé malgré les certificats fournis par les fabricants auprès de laboratoires d’analyses spécialisés en cannabinoïdes avec des méthodes validées selon ICHQ2(R1)
  2. Communiquer clairement et systématiquement sur la composition réelle des produits en cannabinoïde(s) majoritaire(s) a minima, de préférence par l’intermédiaire d’une fourchette raisonnablement étroite de valeurs chiffrées (par ex. « CBD 6 – 8% »), et en en évitant les mentions du type « ≤ 10 % », « CBD haut » ou « CBG dominant », et ce sur tous les canaux de vente
  3. Mettre en œuvre un système de traçabilité permettant au client de récupérer le dernier certificat d’analyse de chaque lot, et ce pour chaque référence (par ex. un système de QRcode renvoyant vers le document, ou encore la tenue à disposition en boutique)
  4. Éduquer les clients à la compréhension des données analytiques et des effets des cannabinoïdes proposés, sans tomber ni dans le prosélytisme, ni dans l’allégation thérapeutique (par ex. court document explicatif remis à l’achat)
  5. Privilégier systématiquement des fleurs n’ayant pas été post-traitées, que ce soit pour diminuer le taux de THC (remédiation) ou pour augmenter le taux d’autres cannabinoïdes (type sprayage), dans un but de réduction des risques pour le consommateur ; ou, le cas échéant, indiquer clairement la nature des traitements opérés (sur l’étiquette en boutique et/ou sur la fiche produit en e-shop)

Nous invitons enfin à réfléchir à l’idée d’une charte interprofessionnelle de bonnes pratiques.

4. Sources

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